1. Introduction
1.1. Raisons et méthodes de création des prothèses actuelles du Professeur Zweymüller
Les questions au sujet des tiges de Zweymüller de la première génération 1979-1985, à la création de laquelle je n'ai pas participé, sont apparues rapidement lors de mes assistances opératoires de formation des nouveaux utilisateurs à la technique opératoire innovante nécessitée par cette prothèse.
Après avoir fondé en 1977 la filiale française d'AlloPro (endoPROthèses ALLOplastiques), qui était proche du groupe suisse Sulzer, j'ai ajouté une activité nouvelle et passionnante à mes fonctions de Direction.
Grâce à mon expérience déjà longue chez Carl Zeiss des assistances opératoires stériles pour former les nouveaux opérateurs en microchirurgie, j'ai introduit l'assistance opératoire stérile en orthopédie. D'abord pour les prothèses cimentées, puis pour les prothèses de genou, et dès 1981 pour l'implantation des tiges sans ciment.
L'assistance opératoire stérile aux premières implantations permettait aux Orthopédistes de raccourcir la période d'apprentissage pour les prothèses nouvelles et d'obtenir de bons résultats dès les premières implantations. Depuis cette époque, l'assistance est devenue normale, acceptée, et parfois indispensable.
Au cours de nombreuses assistances opératoires, de 1981 à 1984, au cours des formations des nouveaux utilisateurs à la nouvelle technique opératoire nécessaire pour les prothèses de Zweymüller, je me suis rapidement posé des questions sur les tiges de Zweymüller de la première génération.
J’ai constaté que les tiges sans ciment de Zweymüller de la première génération de 1979 étaient d’une conception assez primitive, dessinées à plat et de face comme une radiographie, sans tenir compte de la troisième dimension, antéro-postérieure.
J’ai compris la nécessité de concevoir ces implants d’un point de vue scientifique et non plus empirique et donc d’appliquer les mathématiques disponibles et d’en développer de nouvelles, spécifiques à cette branche.
1.2. Déjà au début, des problèmes de tailles
Naturellement, les patients nécessitent différentes tailles d’implants, à cause de leur taille, en fonction de leur âge et en fonction de leur activité physique. Les prothèses de première génération de 1979 étaient bien sûr disponibles en plusieurs tailles, mais les tailles de cette série étaient échelonnées dans un désordre et une absence de vue d’ensemble qui m’ont désolé.
Bien sûr, dans de nombreux cas on trouvait une adéquation satisfaisante entre les besoins du patient et l’une des tiges disponibles dans la série pour que l’implantation se déroule sans problème apparent et que les suites soient satisfaisantes pour l’opérateur et acceptables pour le patient, mais pour environ un patient sur quatre, on était loin de disposer de la tige idéale.
L’inadéquation était déjà visible en cours de préparation de la diaphyse et restait observable dans les suites cliniques.
C’est l’ensemble de ces observations, cumulées pendant 4 ans, qui m’a conduit, début 1984, à proposer, au fabricant et à l’auteur médical, le principe d’une refonte de la série d’implants qui prendrait en compte mes nombreuses observations et leur analyse.
1.3. Conservation, mais aussi perfectionnement du principe d'implantation
En ce qui concerne le procédé d’implantation lui-même, introduit par le Professeur Zweymüller de Vienne, la préparation du fémur avec des râpes montées sur un marteau coaxial, le principe de la tige rectiligne de section rectangulaire, son autoblocage sans ciment par impaction dans le canal préparé, j’en étais un défenseur convaincu.
Et ma position est inchangée 40 ans plus tard. Il était important pour moi de conserver ces principes dans la nouvelle évolution, y compris dans la refonte complète du système sur des bases mathématiques.
1.4. Quelles motivations m’ont amené à entreprendre ce travail?
A mon passage en 1977 du domaine de l’optique scientifique au domaine de l’orthopédie, j’ai été étonné et déçu par la simplicité de la conception des implants orthopédiques. Ces implants étaient conçus par tâtonnements et par essais successifs d’ailleurs très peu efficaces.
Puisque dans le domaine des implants orthopédiques, aucun progrès ou aucun recul ne peut être constaté objectivement en moins de 10 ans d’application clinique, l’évolution par des procédés empiriques est vouée à l’échec.
Les évolutions restent plus proches du mouvement brownien que de la ligne droite car chaque constatation positive ou négative tombe dans l’oubli du fait de la lenteur de l’évolution. Du fait de cet oubli, un nouveau concepteur peut « réinventer » et réappliquer une technologie déjà rejetée 20 ans auparavant, ( pour exemple, certains couples de glissement métal-métal ), à cause des échecs cliniques constatés, mais restés confidentiels.
1.5. Mes compétences étaient-elles adaptées?
Dans le cadre de mes études polyvalentes et mes expériences professionnelles antérieures j'espère avoir rassemblé la plupart des compétences nécessaires pour réaliser la création complète du système Zweymüller-SL AlloPro, appelée par la suite AlloClassic :
La compréhension des problèmes d’échelonnement des tailles ( Méthode des Tailles Optimisées ) résultait de mes études de mathématiques et de statistiques, mais aussi de l'expérience acquise à l'occasion de mes participations à des travaux, d'une part sur l’analyse microscopique de distribution de particules et d'autre part sur la distribution des tailles des cellules osseuses dans l’étude des traitements de l’ostéoporose.
Mes études de mathématiques, de calcul numérique, de géométrie, m’ont permis de concevoir des développements mathématiques nouveaux appliquant de façon concrète aux implants les notions d’espace vectoriel à dimensions multiples (Méthode des Facteurs de Croissance).
Mes études en Maîtrise d’Informatique m’ont permis de concevoir d’abord, d’écrire ensuite tous les logiciels nécessaires pour constituer un système spécialisé pour la création et la mise au point d’implants orthopédiques. Grâce à la simulation et à l’observation des formes sur des prototypes virtuels, cette méthode permettait de sauter plusieurs étapes de mise au point, en comparaison avec les prototypes successifs réalisés en atelier.
1.6. Bref retour sur mes études
dont seulement une partie a servi pour créer des implants orthopédiques:
1962 Baccalauréat Mathématiques.
1962-1965 Ecole d'Optique Appliquée de Paris.
1964-1970 Faculté des Sciences de Paris (Sorbonne), nombreux certificats, dont Optique Physique avec l'extraordinaire Professeur Maurice Françon, Optique Quantique, Physique Fondamentale, Techniques Mathématiques de la Physique, Mécanique Quantique, Cristallographie, Spectroscopie et Liaisons Chimiques, Informatique, etc.
1971-1973 Université de Paris-Dauphine, IAE (Institut d'Administration des Entreprises, 3e cycle ).
1.7. Bref retour sur mes activités et mon expérience
Mes études et mes intenses et passionnantes activités professionnelles ont souvent été simultanées.
1962-1977 Conseiller Scientifique chez CARL ZEISS France: Microscopie, Microchirurgie, Spectrophotométrie, Ophtalmologie, Photographie scientifique, Conception de solutions pour la recherche, formation utilisateurs, assistances opératoires en microchirurgie.
1969-1970 Service de Santé des Armées, Recherche en Ophtalmologie, 200 Assistances opératoires stériles en Microchirurgie.
1975-1979 Conférencier à l' IBMH de l'Université de Technologie de Compiègne, enseignement post-universitaire aux Ingénieurs BioMédicaux et Hospitaliers: Microscopie, Microchirurgie, Conception de blocs opératoires en Haute Asepsie.
1977-1991 Création et direction en France de la filiale ALLOPRO (EndoPROthèses ALLOplastiques) Prothèses de hanche, de genou, coude, ciment. conférences de formation, 600 participations opératoires stériles de genou, 400 de hanche.
1989-2005 Création du bureau d'études Deckner-Optimisation - Orthoconcept, conception complète et calcul de prothèses prêtes à produire.
1991 Fondateur "technique" du groupe PLUS Orthopedics, seul scientifique et unique concepteur des prothèses PLUS pendant 2 ans. Avant la fondation, plusieurs de mes projets étaient déjà terminés.
1989-2004 Membre des comités de normalisation des implants chirurgicaux AFNOR (France), CEN (Europe), ISO (international): participation active à la rédaction de toutes les normes sur les prothèses.
1.8. Création d'un système informatique spécialisé
Pour cela, comme aucun logiciel adapté n’était disponible en 1984 sur le marché, il a fallu inventer et écrire, sans reprise d’éléments existants, un logiciel de description des propriétés géométriques de l’implant possédant son langage spécialisé, un logiciel de Base de Paramètres, un logiciel de représentation graphique, et surtout un logiciel de calcul permettant le calcul simultané de toutes les tailles d’une série à partir du même jeu de paramètres.
C’est la 37ème série de prototypes virtuels qui a été utilisée pour produire la série Zweymüller-SL. Cette prothèse est encore distribuée de nos jours sous la dénomination ALLOCLASSIC. Aucune modification de l’unique série de prototypes réels réalisés et expérimentés fin 1984, n’a été nécessaire. Les implantations expérimentales en laboratoire d’anatomie ont été, dès la première séance, très concluantes et n’ont induit aucune correction ni des dimensions de l’implant ni de la répartition des tailles.
Le volumineux travail de conception de l'AlloClassic a été effectué indépendamment et en complément de mon activité professionnelle à plein temps, chez moi à Paris dans mon bureau personnel, sur mes fonds propres, sans soutien financier et sans apport technologique extérieur d’AlloPro ou de Sulzer.
La série a été fabriquée à partir de mes tableaux de coordonnées, au micron près, que j’ai expédiés à la Production sans fournir d’explication théorique sur les procédés utilisés, ni au bureau d’études d’AlloPro.
A plusieurs reprises, j’ai essayé de fournir quelques explications théoriques à mes interlocuteurs qui n'en ont pas compris l'intérêt. J’ai donc renoncé à le faire et poursuivi le développement sans communication approfondie, mais en expédiant seulement toutes les données numériques, jusqu’au moindre détail, indispensables à la production.
1.9. Mes Modèles historiques
Sans utiliser directement leurs réalisations, c'est la façon de penser de ces grands hommes qui m'a servi de ligne directrice pour mes travaux.
1.9.1. Ernst Abbe
Pour améliorer les méthodes habituelles de conception des prothèses, qui ne satisfaisaient pas ma tendance naturelle au perfectionnisme, j’ai modestement essayé de suivre l’admirable exemple historique de Ernst Abbe (1840-1905), collaborateur puis successeur de Carl Zeiss.
Ce mathématicien de Göttingen, au sein de l’entreprise Carl Zeiss, a révolutionné la fabrication des microscopes faits auparavant artisanalement et de façon empirique, en créant ses lois de l’optique géométrique et en « mathématisant » la conception des instruments d’optique.
Après mes 15 ans d’activité passionnée de Conseil Scientifique dans la Fondation Carl Zeiss, et considérant Abbe comme un grand exemple à suivre, j’étais convaincu qu’une démarche intellectuelle de même nature, basée sur les mathématiques, était transposable au domaine des implants orthopédiques.
1.9.2. Augustin Fresnel
Ce grand physicien ( 1788 - 1827 ) m'a servi de modèle au cours de mes études à l'Ecole d'Optique Appliquée, puis à la Sorbonne avec le Professeur Maurice Françon et enfin professionnellement chez Carl Zeiss jusqu'en 1977. Il a créé la notion de Longueur d'Onde, développé la théorie ondulatoire de la lumière et les interférences lumineuses.
C'est son principe de découpage des grandes lentilles en gradins successifs, en conservant dans chaque gradin la partie optiquement fonctionnelle mais en supprimant les volumes de verre inutiles et lourdes qui lui a permis de construire les lentilles de phare à échelons, cent fois plus légères que les lentilles monobloc, d'ouverture numérique fabuleuse, utilisant presque toute la lumière émise par la source: les Lentilles de Fresnel.
J'ai eu l'idée en 1990, de transposer sa philosophie de découpage logique en échelons, aux jonctions coniques utilisées pour assembler les composants des prothèses, ou pour fixer des implants dans l'os. C'est ce qui a donné ma Jonction Multicône ( 3.4.2.), appliquée dans le Cotyle Bicon (5.3.1.) et la prothèse Modular (5.1.4.), objet de mes Brevets (6.8.3. et 6.8.6.). Le découpage en gradins coniques permet de rendre la forme globale de la jonction indépendante de l'angle de blocage du cône. Le découpage permet aussi de gérer les épaisseurs des matériaux, non pour des questions de poids comme Fresnel, mais pour la maîtrise de la souplesse.
1.9.3. Werner Heisenberg
Physicien et Philosophe allemand (1901-1976), prix Nobel de Physique 1932 pour la création de la Mécanique Quantique. C'est le Professeur Maurice Françon à la Sorbonne en 1964 qui m'a fait connaître ce physicien, pour son Principe d'Incertitude, que je préfère renommer Balancier d'Incertitude. Depuis, je poursuis mes réflexions sur la généralisation de ce principe à plusieurs branches voisines, particulièrement en optique physique et instrumentale, dans ma Théorie de la Déconjugaison, unificatrice et explicative, réunissant sous une compréhension commune une vingtaine de phénomènes et de procédés physiques.
Comme l'a si bien démontré la philosophe Catherine Chevalley dans son analyse du "Manuscrit de 1942" dans lequel il s'oppose au national-socialisme, publié en 1984 seulement, Heisenberg a courageusement et intelligemment retardé et neutralisé le développement de la bombe atomique allemande, tout en restant à son poste de directeur du programme atomique allemand. Son ami Niels Bohr n'a pas compris sa position courageuse, de même que d'autres scientifiques.
La Nature dans la physique contemporaine Le Manuscrit de 1942 La Partie et le Tout 1965 Physique et Philosophie 1958
1.9.4. Antoni Gaudi
Tout récemment, en 2000, j'ai pris connaissance des travaux de l'immense architecte Antoni Gaudi, de Barcelone ( 1852 - 1926 ).
Indépendamment d'une incroyable créativité artistique, Gaudi a développé un véritable programme de recherche sur les aspects de la géométrie qui pouvaient être importants pour son travail.
Il se concentrait sur la quête expérimentale de solutions géométriques optimales qu'il pourrait appliquer à ses projets. Courbures, surfaces et transformations ne l'intéressaient que si il pouvait les appliquer dans ses constructions. Il créa un univers géométrique au service de sa propre créativité.
Sa démarche intellectuelle de supporter par les mathématiques la conception architecturale me conforte dans la certitude de ma propre démarche dans le domaine plus modeste des implants orthopédiques.
Ses cathédrales et ses constructions surprenantes, dont les pierres suivent la direction des forces, survivront longtemps aux bâtiments fragilisés par l'obsession d'empiler les pierres de façon strictement verticale. De nombreux édifices construits depuis trois millénaires seraient encore debout, au lieu de n'être aujourd'hui que des tas de ruines.
Comme mes réalisations sont mille fois plus petites et mille fois moins visibles, seule la publication du présent document pourra enfin les faire connaître.
1.10.1. Comment le système Zweymüller-SL " AlloClassic" a-t-il pris naissance?
En mars 1984, dans une grande clinique des environs de Nice, je participais à l'implantation d'une tige de Zweymüller de première génération. A cette époque, seules les tailles 10, 12.5, 15 et 17.5 étaient disponibles. Le fémur était convenablement préparé pour la taille 12.5 mais lors de l'essai de stabilité, la longueur totale était insuffisante et la tige 15 a été essayée, d'abord sans râper à nouveau. A notre grande surprise, la tige 15 était instable. Elle présentait de petits mouvements dans le plan frontal et plusieurs degrés d'angle dans le plan sagittal. Par ailleurs, l'opérateur m'avait signalé des douleurs crurales fréquentes chez d'autres patients avec suspiscion d'instabilité des tiges et surcharge au niveau de leur pointe. Dès la fin de l'opération, encore dans le parking, j'ai commencé à schématiser géométriquement ce réel problème clinique.
1.10.2. Démarrage de la recherche
Rapidement, le problème est apparu complexe du point de vue mathématique et j'ai commencé l'écriture d'un programme de description géométrique en langage Fortran.
Il m'est apparu nécessaire de trouver, non seulement des relations entre les éléments géométriques d'une taille de prothèse, mais aussi les relations reliant les dimensions de plusieurs tailles successives. Il est évident aujourd'hui que de nombreuses prothèses sans ciment ont abouti à des échecs en raison de l'absence de toute loi mathématique.
Le projet a nécessité, à l'époque, le passage sur les supercalculateurs Control Data 6600 puis CRAY ONE. Une série de prototypes et de râpes a été réalisée après une trentaine de simulations par calcul sans avoir à réaliser des prototypes métalliques intermédiaires. J'ai exposé ce projet au Professeur Zweymüller à Vienne en août 1984. Les implantations expérimentales en laboratoire d'anatomie ont eu lieu en décembre 1984. L'analyse de la série d'implantations d'anatomie a mis en évidence l'amélioration conséquente de la fixation primaire. La série de tiges qui en a résulté n'a nécessité depuis aucune correction.
Cette série appelée AlloClassic a été implantée à ce jour sur plus de 1.000.000 de patients.
Après huit années supplémentaires de recherche et de travail, en 1992, j'ai entièrement reprogrammé une nouvelle génération de tiges avec de nouvelles formulations mathématiques, d'autres langages informatiques et d'autres ordinateurs. C'était une refonte totale et non quelques modifications mineures, comme certains l'ont prétendu.
Cette deuxième série, appelée SL Plus a été implantée à ce jour sur plus de 1.000.000 de patients.

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